Qu’est-ce que la foi a à voir avec l’histoire ? Tout. Paul le souligne dans 1 Corinthiens 15. Le Christ est mort. Il a été enterré. Il est ressuscité le troisième jour. Ensuite, « il est apparu à Céphas, puis aux douze », et enfin « à plus de 500 frères et sœurs à la fois » (v. 5-6). L’œuvre de Jésus pour son peuple s’est déroulée ici-bas pour que chacun puisse en être témoin. Ce que les apôtres ont annoncé relevait donc bien d’événements historiques.

La foi est indissociable de l’histoire. Elle est adhésion à l’interprétation donnée par Jésus et ses apôtres aux événements historiques que sont la mort et la résurrection du Messie : le Christ est mort pour nos péchés (1 Co 15.3) et a été ressuscité pour notre justification (Rm 4.25). La tradition chrétienne a depuis longtemps fait sienne l’idée de « foi en quête d’intelligence ». Celle-ci implique de pouvoir réfléchir et poser des questions sur le contenu de notre foi, comme le fait Augustin dans ses Confessions, mais toujours avec en toile de fond la confiance ultime en Dieu et dans les vérités de l’Écriture.

Susan C. Lim offre un bel exemple de cette approche dans Light of the World: How Knowing the History of the Bible Illuminates Our Faith (« Lumière du monde : comment la connaissance de l’histoire de la Bible éclaire notre foi »). Lim, professeure d’histoire à la Biola University, en Californie, nous raconte tout le développement de l’Écriture, détaillant toutes les péripéties, les débats et les réflexions complexes qui ont abouti à une tradition bien établie quant aux livres qui constituent la Sainte Parole de Dieu. Cette histoire, comme elle le démontre, est loin d’être nette et ordonnée. Pourtant, bien comprise, elle peut renforcer notre confiance dans la Bible et dans la direction souveraine de Dieu sur les affaires humaines. Dans un esprit semblable à celui de la Vierge Marie interrogeant sans se départir de sa foi l’ange Gabriel - « Comment cela se fera-t-il ? » (Lc 1.34) - Lim nous entraîne à interroger l’Écriture.

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Son ouvrage n’est pas une simple histoire de la Bible. En mêlant son témoignage chrétien à des chapitres sur l’histoire de la Bible, elle fait preuve d’une franchise rafraîchissante, même lorsqu’elle fait part des doutes et des interrogations qui ont précédé sa « seconde confession » : que toute la Bible est la Parole de Dieu. Contrairement au sien, tous les livres relatant l’histoire de la Bible ne contiennent pas un chapitre sur les miracles ou n’abordent pas les questions d’interprétation, de preuves archéologiques ou de fiabilité historique des récits bibliques eux-mêmes.

Lim retrousse ses manches et se penche sur la manière dont la Bible protestante en est venue à compter 66 livres (39 dans l’Ancien Testament et 27 dans le Nouveau Testament). Convaincue que la connaissance de l’histoire de la Bible peut vivifier notre foi, elle présente simplement les faits aux lecteurs, tout en admettant que ces faits nécessitent une interprétation. Elle sait que le sujet peut être controversé, car les données conduisent parfois sur des chemins qui ne vont pas là où nous le souhaiterions. De nombreux lecteurs se retrouveront dans l’intention et les orientations de Lim dans ce livre. Tel est assurément mon cas.

L’Ancien Testament et le canon hébraïque

Je ne peux donc qu’encourager à l’étude de l’histoire de la Bible, peut-être cependant un peu au-delà même du de Lim. À mes yeux, celui-ci contient malheureusement plusieurs inexactitudes ou théories dépassées. J’en donne quelques exemples plus bénins avant d’aborder des questions plus importantes.

Prenons, par exemple, l’affirmation de Lim selon laquelle Jérôme, le prêtre de l’Église primitive qui a traduit la Bible en latin, « pourrait avoir proposé » Esdras comme auteur du Pentateuque, les cinq premiers livres de l’Ancien Testament. Jérôme, pourtant, dans son traité Contre Jovinien, est plus proche d’affirmer que Moïse en est l’auteur ; dans un autre ouvrage, La virginité perpétuelle de la bienheureuse Marie, il se contente de laisser ouverte la possibilité qu’Esdras ait restauré le Pentateuque, et non pas écrit. Un peu plus loin, Lim affirme également à tort que l’Évangile de Thomas a circulé en deux versions plutôt que d’y voir deux œuvres littéraires différentes (l’autre s’intitule Évangile de l’enfance selon Thomas).

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Dans son récit de l’émergence de la Bible protestante, Lim expose la relation entre les canons hébraïques et protestants. Juifs et protestants ont le même contenu dans ce qu’ils appellent respectivement la Bible hébraïque (Tanakh) et l’Ancien Testament, même si chaque groupe numérote, ordonne et classe les livres différemment. Quant à la question de savoir si le Tanakh (acronyme désignant les trois parties du canon hébraïque) est la Bible que Jésus a lue, Lim avance prudemment qu’il « était considéré comme une tradition à l’époque de Jésus » et que « nous ne connaissons pas la réponse définitive à cette question ». Ailleurs, cependant, elle conclut avec plus d’assurance que le Tanakh « a servi de fondement au ministère de Jésus et à la naissance du christianisme ».

Mais le fait est que lorsque les protestants ont commencé à dresser la liste des livres de l’Ancien Testament, ils n’ont nulle part fait référence au Tanakh. Par exemple, la Bible de Martin Luther (1534) énumère le contenu de l’Ancien Testament selon les 24 livres de la Bible hébraïque, mais conserve dans l’ordre histoire, poésie et prophétie. Cette structure remonte aux premiers chrétiens, comme Grégoire de Nazianze, qui énumère 22 livres selon le nombre de lettres de l’alphabet hébreu et les divise en trois parties : 12 livres historiques (comme Josué), 5 livres poétiques (comme les Proverbes) et 5 livres prophétiques (comme Ésaïe).

Le Tanakh, pour Lim, facilite l’interprétation de livres individuels tels qu’Esther, puisque sa classification en trois parties — Loi, Prophètes et Écrits — fournit des indices sur la manière dont les premiers lecteurs interprétaient ceux-ci. Ses observations sur Esther à cet égard sont dignes d’intérêt. Cependant, elle aurait pu guider ses lecteurs vers d’autres structures et catégories du canon hébraïque ancien (toujours visibles dans la plupart des bibles contemporaines) qui auraient pu éclairer la façon dont les premiers lecteurs interprétaient les livres à la lumière de leur emplacement à côté d’autres livres.

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En se plongeant dans son ouvrage, le lecteur découvrira par ailleurs certains termes et catégories que les premiers chrétiens ont élaborés pour décrire leur littérature religieuse. Tels sont notamment les homologoumena, ou « livres incontestablement inclus dans le canon », les antilegomena, ou livres « initialement classés comme canoniques mais ultérieurement contestés », et les pseudepigrapha, des livres « de nature religieuse mais externes au canon ». Une quatrième catégorie, les apocryphes de l’Ancien Testament, regroupe les « livres ajoutés à la Septante mais jamais inclus dans l’Ancien Testament hébreu ».

Les chercheurs qualifient aujourd’hui un grand nombre de livres (comme 1 Enoch) de pseudépigraphes, mais les premiers chrétiens n’utilisaient pas souvent ce terme (Cyrille de Jérusalem mentionne des évangiles « faussement intitulés » comme celui de Thomas) et auraient qualifié ces livres d’apocryphes ou de « livres cachés ». Ce n’est que dans le feu de la polémique que Jérôme qualifie un jour d’« apocryphes » Tobie, Judith, l’Ecclésiastique (également connu sous le nom de Ben Sira ou Siracide), la Sagesse de Salomon ou encore 1 et 2 Maccabées. Mais ailleurs, il recommande ces livres comme des lectures édifiantes, même si ce n’est pas dans le but de confirmer les doctrines de l’Église.

Jérôme rejoint ainsi d’autres premiers chrétiens comme Athanase en prenant en compte une catégorie intermédiaire de littérature religieuse : ni canonique, ni apocryphe, mais utile et bénéfique. Lim ne mentionne pas cette catégorie intermédiaire, ce qui pose un problème lorsqu’elle reconstruit la compréhension qu’avaient les pères de l’Église de la genèse de la Bible. De nombreux premiers chrétiens ont pu avoir une haute opinion de ces livres intermédiaires, mais ne les auraient pas décrits comme canoniques, contestés ou apocryphes.

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Cela débouche sur un réel problème dans le propos de Lim sur la Septante (une collection de livres grecs notoirement difficile à définir) et les apocryphes. Elle soutient que certains scribes juifs étaient responsables de l’ajout à la Septante de livres qui ont été connus plus tard sous le nom d’apocryphes. Plus loin, elle affirme que « les apocryphes ont été annexés à la Septante, dans ce qui a été connu sous le nom de “liste d’Alexandrie” ». Cette liste a été compilée à Alexandrie, en Égypte, bien que les Juifs n’aient jamais considéré les apocryphes comme canoniques. La confusion se serait ensuite installée, écrit Lim, lorsque certains pères de l’Église « ont mal compris la tradition hébraïque et ont considéré certains livres apocryphes comme canoniques ».

L’histoire est plus complexe. Il n’existe aucune preuve que les Juifs d’Alexandrie aient rédigé une liste canonique ou qu’ils aient possédé un canon différent de celui des autres Juifs. Cette théorie a été largement abandonnée depuis les années 1960. En outre, de nombreux premiers chrétiens décrivaient le canon de l’Ancien Testament chrétien comme établi selon le canon hébreu. Par la suite, des chrétiens comme Augustin ont développé une tradition parallèle affirmant que le canon biblique englobe les livres que les églises lisaient et acceptaient.

En somme, l’Ancien Testament protestant reflète une pensée chrétienne primitive limitant l’Ancien Testament au canon hébreu, tandis que l’Ancien Testament catholique romain reflète un autre canon chrétien primitif articulé par Augustin et les synodes d’Hippone et de Carthage. Il paraît donc inexact d’affirmer que le Concile de Trente au 16e siècle, principal moteur de la « Contre-Réforme » catholique, a été le premier à considérer les apocryphes comme canoniques. Trente n’a été que le premier concile à prononcer l’« anathème » à l’encontre de ceux qui refusaient d’accepter son canon.

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Le quatrième siècle et ce qui le précède

Dans les sections suivantes du livre, Lim aborde des défis similaires dans la formation du canon du Nouveau Testament. Elle y aborde des hérésies telles que le gnosticisme et le marcionisme, ainsi que d’autres œuvres littéraires chrétiennes primitives telles que le Berger d’Hermas et la Didaché. Là encore, l’histoire de la formation du Nouveau Testament est confuse, mais en la comprenant bien, comme le soutient Lim, il est possible de voir que la souveraineté de Dieu n’a jamais été contrecarrée. L’autrice estime plutôt que les chrétiens devraient être rassurés par le fait que le canon du Nouveau Testament a été constitué au quatrième siècle et pas plus tôt, car ce fait reflète les efforts des pères de l’Église pour distinguer les livres canoniques des autres.

Lim interprète la conversion de l’empereur romain Constantin au christianisme au 4e siècle comme un « pivot » pour l’établissement de l’Église et la confirmation du canon du Nouveau Testament. Elle évite à juste titre d’attribuer au concile de Nicée (325 apr. J.-C.) la création du canon, mais l’accent qu’elle met sur les débats du concile concernant l’orthodoxie et l’hérésie laisse ouverte la question de savoir comment ces débats ont été liés à la formation du Nouveau Testament.

Pour Lim, la fin du quatrième siècle — l’époque des synodes d’Hippone (393 apr. J.-C.) et de Carthage (397 apr. J.-C.) — a été marquée par la reconnaissance officielle du canon du Nouveau Testament. Assurément, le quatrième siècle a clarifié le statut de livres comme 2 Jean, 3 Jean et 2 Pierre, qui n’étaient pas clairement reconnus auparavant.

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Mais l’accent mis sur le 4e siècle pourrait amener les lecteurs à ignorer d’importants développements antérieurs dans l’histoire du canon, comme l’assemblage des quatre évangiles ou des lettres pauliniennes. Vers l’an 250, Origène d’Alexandrie avait déjà dressé la liste des 27 livres du canon du Nouveau Testament. Ainsi, le noyau du Nouveau Testament était déjà établi au quatrième siècle. Si certains considèrent la 39e lettre festale d’Athanase (367 apr. J.-C.) comme une définition autoritaire du canon du Nouveau Testament, il ne s’agissait que d’une étape dans ce processus, et non de sa résolution finale.

Faire de l’histoire est complexe. Cela implique des personnes et des documents, et les éléments que nous possédons ne nous permettent pas de répondre à toutes nos questions. Mais pour Lim, l’histoire du développement de la Bible ne doit pas entraîner le désespoir ou l’abandon de la foi. Plutôt que de fragiliser notre foi, cette histoire permet de l’étayer et de la renforcer. J’oserais même dire qu’elle a quelque chose d’inspirant. La « foi en quête d’intelligence » part de notre confiance en la sage providence de Dieu, mais notre compréhension s’accroît par le questionnement et l’interprétation des données.

J’espère ainsi que les lecteurs du livre de Lim se joindront à elle dans la joie toujours plus grande de découvrir l’histoire de notre Bible et la façon dont elle éclaire la foi chrétienne. Si les lecteurs en sortent un tant soit peu plus confiants dans la fiabilité et l’authenticité de l’Écriture et encouragés dans leur propre cheminement de foi, alors Lim pourra considérer que sa mission comme accomplie.

John D. Meade est professeur d’Ancien Testament et directeur du Text & Canon Institute au Phoenix Seminary. Il est coauteur de Scribes & Scripture : The Amazing Story of How We Got the Bible (Crossway).

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